Victor Segalen, Stèles et Equipée, dans Oeuvres Complètes, Paris, Bouquins, Laffont, 1995, 1120 p., 169 FF. ***

La littérature du voyage nous mène en Chine...

Dans les années 1910, Victor Segalen, écrivain d'origine bretonne et lui -même grand voyageur, effectue un voyage en Chine à la recherche d'un sentiment inconnu, dans la droite ligne de Baudelaire et son Voyage: "aller au bord de l'inconnu pour trouver du nouveau". De nombreux écrivains avaient déjà tenté l'expérience...

Son originalité: il est plus ou moins persuadé que les récits de voyages sont des récits douteux, pleins d'invention, de mensonges...Et pourtant, il écrit son récit, son voyage initiatique vers un pays qui le fascine: la Chine.Alors que faire, comment écrire?

Victor Segalen

 

Victor Segalen adopte deux solutions d'écriture, jamais si éloignées qu'on pourrait le penser. La première: un récit de voyage.Mais un récit de voyage qui s'analyse lui même, et dont son auteur en connaît tellement toutes les règles d'écriture qu'il peut les transgresser pour en faire un itinéraire mental.

La question d'Equipée, son récit de voyage en Chine, est de savoir s'il s'agit de l'"imaginaire", d''une invention, d'une réécriture comme le sont tous les récits de voyage, ou si l'on peut vraiment transmettre le "réel" de son expérience... La solution vient en marchant, dans l'effort.

Dans sa description de son effort, son écriture devient physique, musculaire presque. Phrases courtes, souffle courts, efforts: le réel. Puis le sommet, le paysage, l'espace du rêve et de la contemplation: l'imaginaire. Son Equipée mène à découvrir qu'on ne peut presque jamais se défaire de cet imaginaire nécessaire, et que le réel, si difficile à trouver, est en constant rapport avec celui-ci.

 

Dans sa recherche entre imaginaire et réel, Segalen ne manque donc pas de transgresser les règles du récit de voyage, mais aussi immanquablement, il les respecte, et pour notre plus grand bonheur. Ainsi, la lecture apprend beaucoup. Saviez vous que les distances fixes n'existent pas en Chine, et qu'elles n'ont aucune signification? Tout ce qui compte réellement, c'est le "li", unité de temps qu'un homme met pour parcourir une distance soit longue soit courte, en fonction du terrain. Chaque jour, un homme peut donc parcourrir le même nombre de li: si le terrain est facile, les li seront plus longs et si le chemein est éscarpé, les li seront plus courts....Le texte est ponctué de ces anecdotes qui révèlent la mentalité chinoise: très instructif sur l'esprit chinois, cet esprtit "autre", exotique...

Pour sa réflexion et ses explications typiques d'un récit de voyage, on lit Equipée avec plaisir et intérêt.

 

 

Mais quelle est la seconde voi(e)x d'écriture? La poésie.

Stèles est un recueil , non pas de poèmes tels que la tradition européenne les définit, en vers et alexandrins, ou même petits poèmes en prose, mais bien un style poétique à part entière, issue de la tradition chinoise et adapté avec originalité par Segalen. Ce style, c'est la la stèle. Concrètement, les poèmes s'organisent comme s'ils étaient gravés, avec un cadre et une épigraphe en chinois. L'effet esthétique est immédiat, tout comme l'effet exotique. Du reste, l'exotisme est la clé de son écriture puisque dans Stèles tout concourt à dénicher l'exotisme, c'est-à-dire "tout ce qui est autre". Ces poèmes à part recherchent un objectif baudelairien, comme Equipée: "aller au bord de l'inconnu por trouver du nouveau".

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"Stèles", en chinois.

Mais le "nouveau" est une fusion avec un tout, dans une optique presque bouddhiste. La mythologie particulière qu'installe Segalen est celle de chevaliers mongoles, de dames de cour, de chevaux emballés, de "char emporté"...Tout va très vite: Segalen opte pour des récits dynamique, dont le but final est cet univers supérieur. La poésie est l'ultime moyen de l'atteindre, par la pierre, la stèle et le signe qui est gravé dessus, et qui assure une lien vertical avec ces hautes sphères. Cette liaison avec le monde supérieur est une nouvelle réminiscence de la poésie baudelairienne, qui lui se servait des correspondances et des synesthésies entre les sens et les perceptions.

Victor Segalen, lui, semble avoir cherché plus loin, par le signe, vers l'exotisme chinois, le moyen d'atteindre son monde intérieur, son monde supérieur. Peut-être la lecture des ses livres vous aidera-t-elle à trouver le votre!